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Général Antoine MARTINEZ
La paix est une chose
trop sérieuse pour ne la confier qu'à des civils
Face aux récents développements de la situation sur le terrain en
Syrie et à l'emballement de déclarations intempestives et
irréfléchies pour certaines, on ne peut que s'indigner de
l'égarement et de la perte de réalisme et de responsabilité
manifestés par des dirigeants politiques, à la tête de grands pays,
guidés par des intérêts tout autres que ceux liés à la nécessaire
réduction des tensions dans le monde. Ce faisant, par leur manque de
lucidité, leur incapacité à retenir les leçons pourtant récentes de
l'histoire, leur absence de vision globale, voire leur refus
d'analyser les conséquences probables de leurs décisions, ils jouent
les apprentis-sorciers en favorisant l'émergence d'un conflit
beaucoup plus large et en mettant en danger la vie de leurs propres
citoyens, en l'occurence les citoyens européens les plus exposés
aujourd'hui.
Le président de la République serait donc bien inspiré d'éviter de
répéter l'erreur de son prédécesseur qui, en 2013, plus téméraire
que ses homologues américain et britannique, pensait tirer de
nombreux bénéfices en frappant la Syrie. Chacun se souvient de
l'épilogue : la France, isolée, était contrainte de renoncer après
les défections du Royaume-Uni et des Etats-Unis dues à l'opposition
manifestée par leurs parlements respectifs. Rien n'indique
d'ailleurs, à ce stade, que le même scénario n'est pas en voie de se
répéter. Cette fois, le renoncement aux frappes serait cependant
plus contre-productif et désastreux en termes de crédibilité non
seulement nationale mais internationale pour le président français
qui se rêvait en « leader » de l'Europe. Il en sortirait affaibli et
la France perdrait en influence. Mais plus les frappes annoncées et
sensées être effectives quarante-huit heures après l'incident sont
retardées, plus s'installe l'hésitation qui alimente le doute non
seulement sur la volonté de les exécuter mais sur leur légitimité.
Cela dit, quelques points doivent être rappelés à tous ces va-t-en
guerre, dirigeants politiques, mais également tous ceux de la
société civile partisans de l'ingérence et de l'intervention
militaire pour des raisons présentées comme humanitaires.
1. L'invasion de l'Irak en 2003 par les Etats-Unis, décidée
unilatéralement, en violation du droit international, sans mandat de
l'ONU, en ayant menti à la communauté internationale sur l'existence
d'armements de destruction massive, a complètement déstabilisé le
pays, créé le chaos et favorisé l'expansion du terrorisme islamique
et est à l'origine de la création de l'Etat islamique.
2. L'action de la France en Libye en 2011 a eu les mêmes
conséquences, à savoir la déstabilisation complète du pays. Cette
déstabilisation est à l'origine de l'expansion du terrorisme
islamique et surtout, après la création de l'Etat islamique en juin
2014, de l'attaque sans précédent subie par les peuples européens
avec l'invasion migratoire déclanchée à l'été 2015.
3. La décision de déstabiliser la Syrie est l'une des conséquences
de ce qu'on a appelé le « printemps arabe ». Celui-ci est né en
décembre 2010 en Tunisie, s'est propagé dans l'ensemble des pays
arabo-musulmans et a conduit à l'arrivée au pouvoir des islamistes
avec des résultats différents d'un pays à l'autre. A ce moment-là,
la Syrie représentait le seul pays majoritairement musulman vraiment
laïque dans la région. C'était insupportable pour certains. Dès le
début de l'année 2011, des émissaires de l'Arabie saoudite et de la
Turquie exigeaient du président syrien des changements dans sa
gouvernance et dans ses orientations politiques pour favoriser les
islamistes. Et c'est son refus qui est à l'origine de la
déstabilisation de son pays organisée par ces soutiens des
islamistes.
4. Dans le chaos organisé en Syrie, la France a armé des islamistes
dans le but de faire tomber le régime syrien. Souvenons-nous : « Al-Nosra
fait du bon boulot » (Laurent Fabius, ministre des Affaires
étrangères). Au sein de la coalition conduite par les Etats-Unis, la
France, suivant aveuglément ces derniers, a appliqué par ses
bombardements aériens une stratégie visant à maintenir un conflit de
bas niveau pour donner l'impression que la coalition combattait
l'Etat islamique, mais en réalité pour affaiblir le président syrien
et le faire tomber. C'était l'obsession des présidents français et
américain. Ils ont échoué évitant ainsi qu'après la mainmise des
islamistes sur la Syrie, ces derniers s'attaquent à la Jordanie et
au Liban ce qui aurait entraîné massacres et exode de millions
supplémentaires de réfugiés. Depuis l'intervention russe, la
situation s'est inversée à l'avantage du président syrien dont les
forces armées reprennent progressivement le contrôle du pays.
Les forces syriennes n'ayant eu, objectivement, aucun intérêt à
utiliser des armes chimiques, le 7 avril, dans le secteur de la
Ghouta libéré à 95 %, on peut raisonnablement accepter l'hypothèse
d'une manipulation et, au moins, tout faire pour obtenir la vérité.
C'est pourquoi le président de la République devrait être moins
péremptoire dans ses affirmations marquées par le sceau de la
certitude et plus prudent dans sa détermination affichée de vouloir
punir le président syrien. Car son affirmation selon laquelle il
détiendrait la preuve d'utilisation de gaz par les forces syriennes
pourrait être qualifiée de mensonge, qui, s'il se vérifie, porterait
atteinte à la fonction qu'il incarne et à sa crédibilité
personnelle. Il est légitime de se poser la question dans la mesure
où même les Etats-Unis, malgré les déclarations de leur président,
semblent désormais moins pressés pour lancer des frappes de
représailles. Le secrétaire d'Etat à la Défense vient, en effet, de
mettre en garde contre une frappe sur la Syrie et a demandé la
recherche de « plus de preuves de l'attaque chimique présumée du 7
avril ». Il avait d'ailleurs reconnu, quelques jours plus tôt,
n'avoir aucune preuve et s'appuyer sur les seuls témoignages des
médias et réseaux sociaux qui rapportaient que « le chlore aurait
été utilisé ». Enfin, il met en garde contre l'escalade qui pourrait
conduire vers un « conflit plus large entre la Russie, l'Iran et
l'Occident ».
Il y a donc un risque sérieux de provoquer l'irréparable car des
frappes sur des objectifs ou des cibles des forces armées syriennes
au sein desquels opèrent des Russes ou des Iraniens ne resteront pas
sans réponse de la part de la Russie et de l'Iran. Il faut bien
comprendre que dans le rapport de force engagé dans une crise, la
gesticulation est un des outils utilisés par la diplomatie et est
envisageable lorsque la force militaire qui la seconde est
dissuasive. C'est le cas pour les Etats-Unis. Mais cette
gesticulation, lorsqu'elle repose sur des déclarations comme celles
diffusées par les tweets du président américain est dangereuse à
double titre : elle perd de son crédit (on ne s'adresse pas à la
Russie comme à la Corée de Nord), mais d'un autre côté, elle engage
son auteur. On ne peut pas envisager – ce serait inacceptable – que
la seule raison d'une frappe sur la Syrie repose sur le refus de
perdre la face après des déclarations complètement stupides.
Il est donc urgent que le président de la République qui s'est piégé
en s'alignant hâtivement sur les Etats-Unis, choisissant ainsi le
camp de la guerre, revienne à la raison et décide de renoncer à ces
frappes, qui, en raison du manque évident de preuves sur l'emploi
d'armes chimiques, ne sont pas justifiées. Il serait, en outre,
souhaitable qu'il l'annonce rapidement avant d'être le dernier à le
faire, le scénario de 2013 étant en train de se réaliser. S'être
retranché derrière un devoir moral pour motiver ces frappes
constitue une aberration et précisément une faute morale et
politique. On ne s'engage pas dans des actions militaires punitives,
même et surtout avec des alliés, sans disposer de moyens ou de
sources propres pour valider l'information, ce qui permet la prise
de décisions de façon indépendante et donc en toute connaissance de
cause.
Le 13 avril 2018 Général (2s) Antoine MARTINEZ
Coprésident des Volontaires Pour la France |
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